DLXLIX.

Publié le 30 Septembre 2014

L’amusant, c’est de voir la rue Verte, côté gare, s’enfoncer peu à peu et bientôt disparaître. Tout le Rouen d’aujourd’hui est là : béton sur béton, incurie des décidants, indifférence des pékins. Le reste à l’avenant, tant que coule la rivière (en l’occurrence, celle des gros sous). Ça n’est peut-être pas neuf, mais ça perdure. Et de tous bords en s’en félicite. C’est pas moi, c’est l’autre. Pas de quoi aller prendre un café-crème au buffet de la gare.

Dès le début, ce projet immobilier augurait mal de la suite. Là où, pendant des décennies, de vierges jeunes filles (de moins en moins) apprenaient le B.A.BA du savoir usuel, on allait construire une résidence. Dire que ces mêmes adolescentes y logeraient pouvait se concevoir. Les prix étaient en conséquence. C’est que, de mémoire locale, l’Institution Rey (ce dont il s’agit) était un collège privé fort côté dans les bonnes familles. Enfin, façon de dire, car au fil du temps, la norme éducative institutionnelle s’installa. Dès lors, les différences se firent moindres. Le nivellement, n’est-ce pas. Oui, pour cause de travaux.

Disons que de ce côté, on a fait fort. En hauteur et largeur. C’est le défaut du quartier. Tout ce qui nous entoure est monumental. Ou peu s’en faut. Faut-il croire aux plans, aux lignes, aux perspectives ? Casques en plastique sur la tête, on n’en pas moins homme. Comme tel, faillible. Parfois aussi un peu honteux. Comme disait Mademoiselle Chenu, directrice de Rey : Les études ne suffisent pas. Certes.

La rue s’enfonce ? La belle affaire. C’est une figure de l’oubli. Ou du détachement. Les trains partent, les trains arrivent, quoi de plus normal. Tant que le sang du canard coule chez Guéret, l’avenir est assuré. Il suffit de le croire. Une fois la rue tombée dans le trou, quoi ? Comme dans La Double vie de Théophraste Longuet (feuilleton de Gaston Leroux) y rencontrera-t-on les Talpas, peuple souterrain ? C’est à craindre.

Le quartier est, on le sait, littéraire. Trop. Si les références y abondent, elles n’empêchent rien, la preuve. Plus de poésie ou de romanesque aurait-il permis moins d’enfoncement ? Peut-croire qu’une capétienne prenant son petit-déjeuner au Métropole nous écrive les Mémoires d’une jeune fille rangée, version 2.0 ? Et qu’elle nous y entretienne de ses amours avec on ne sait qui, botté et casqué, expert en extraction ? Nous verrons.

Si oui, leurs ébats supposés ne se passeraient plus à l’Hôtel de la Rochefoucauld, devenu logement social, et pas à l’Hôtel des Familles de la rue Pouchet, resté identique. Les amours d’aujourd’hui sont peu clandestines. Si oui, il faut y mettre une certaine coquetterie. Enfin, j’imagine, vous vous doutez bien. Mal assis sur une borne de la place Bernard-Tissot, la mélancolie m’envahit. Où vont tous ces gens-là ? A Paris, à ce qu’il paraît. Ils ont de la chance. Ils quittent Rouen. Rentrés ce soir, fourbus mais employés, qui dit qu’ils ne retrouveront pas la ville au fond du trou ? Va savoir. C’est que, voyez-vous, on ne nait pas Rouennais, on le devient.

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