DLXV.

Publié le 30 Avril 2014

Ce vendredi, me voici dans l’abbatiale Saint-Ouen. Une fois n’est pas coutume. Bon suiviste, c’est pour le frémissant gothique dont on nous vante l’intérêt. Il était temps, la chose s’achève. Ce soir, il pleut et fait nuit. Évitons les flaques. Sous le portail des Marmousets, la foule piétine. Il faut laisser sortir les sortants et entrer les entrants. Dans ce sens (celui du sortir), je croise deux dames (âgées, sans plus), l’une disant à l’autre : mais pourquoi ça ne t’as pas plu ? Moi qui n’a encore rien vu, c’est déjà mon avis.

Car l’exercice d’admiration est de rigueur. Chacun se presse, lève le nez, écoute, contemple. Nouveau rituel, les plus intrépides brandissent leur mobile et enregistrent le miracle. A la fin, tous applaudissent. Mon avis : c’est ce que je pensais hier. Surpris même, d’être à ce point indifférent. Qui traverse la haute forêt se croit dans une cathédrale ; qui hante une cathédrale, pense à la forêt. En fallait-il plus ? Il faut croire. Remercions nos pieux édiles d’y avoir pensé. Cette attraction sonore et lumineuse est l’exemple parfait de l’alibi culturel tel que l’entend le contemporain. N’en rien penser (ni bien ni mal) et s’estimer heureux d’en être pourvu. Le reste viendra après.

Ceci me rappelle ce que me disait mon regretté Molineux : c’est des trucs que tout le monde pense, mais lui, il le fait. Il est à craindre que nous n’en ayons pas fini avec ce genre. A ce propos, en plus de la référence par trop évidente aux saisons, le spectacle s’agrémente de citations savantes. Certes, nous devons nous convaincre qu’il ne s’agit pas ici d’un seul divertissement. Je déchiffre donc, ébloui et interloqué, des sentences évasives. Elles proviennent (à vérifier) des meilleurs auteurs, à savoir (simple exemple) Hölderlin et Coluche. Inutile de s’en formaliser. Le romantisme en salopette, voilà ce qu’il nous faut. Et remercions nos édiles, etc.

Ce dimanche, me voici devant la Halle aux Toiles. C’est pour la vente annuelle des livres d’une association caritative. Il pleut, évitons les flaques. Peu de monde à l’intérieur. Tout y est rangé avec méthode et discernement. Les prix échappent à toutes critiques. Ce qui rend mélancolique, c’est que ce cimetière de livres ne les sauve pas de leur inutilité. La culture de masse trouve en ce lieu son aboutissement. Un seul livre les vaut tous. Qui en achète un, sauve les autres. Mais à quoi bon ? Oui, à quoi bon.

Il n’empêche, je ne suis pas venu pour philosopher. J’y suis pour jouer le rôle du vieux monsieur qui aime la lecture, les livres, les accumulations. Celui qui aime les séries. Qui collectionne. Vous savez, l’homme qui fait des listes et va de rayon en rayon. Voici l’exemplaire manquant. Et pour pas cher. Au milieu de tant d’épaves, je suis assuré d’assouvir cette triste manie. Il ne me que persévérance et patience. Deux vertus dont on vous dispensait vendredi soir. Là, sans doute, réside le secret du monde d’aujourd’hui.

A propos, qu’ai-je fait de mon samedi ? Aucun souvenir.

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article