DLXVI.

Publié le 4 Mai 2014

J’ai déjà parlé de mes cousins chinois. Cousins qui n’en sont pas, pas plus qu’ils ne sont chinois. C’est moi qui. Au vrai, ce sont des amis d’enfance. Seuls leurs grands-parents ou arrières sont d’origine asiatique (langage usuel). Ici depuis des lustres. Arrivés aux alentours de la Grande Guerre. Ouvriers chinois recrutés par les Anglais pour travailler dans des camps du côté du Madrillet. Puis restés. Tous ou à peu près d’une même grande fratrie, à l’origine danseurs de corde ou marionnettistes, gens de cirque. Enfin, d’après ce que ma mère et mon père racontaient.

Comment, pourquoi, ils recrutèrent d’autres chinois. Montèrent une troupe et firent de la scène. Ce fut le Théâtre des Kaïtouns. Mes parents financèrent, ma mère faisait les costumes. Je dois encore avoir des affiches et des prospectus. Il faudrait retrouver et écrire ce qu’il en fut. Un théâtre chinois à Rouen ? Admettons. Tout ça loin et personne n’ira vérifier.

On se voit une ou deux fois l’année. Souvent à Pâques, allez savoir pourquoi. Ils habitent sur la rive gauche, Saint-Étienne du Rouvray. Un quartier et des rues sans nom sinon ceux aviateurs autrefois célèbres. On s’en doute, les acrobates pékinois sont morts depuis longtemps. Leurs enfants aussi. Seule subsiste une vieille dame (elle a passé les quatre-vingt-dix) et des gens nommés Michel, François ou Lucette. Encore d’autres, enfants plus jeunes et alliés que je ne connais plus. J’en suis à ne pas distinguer les âges et les alliances. Au contraire du notre, ce monde est moins en moins chinois.

Tout ça pour dire que je ne me suis pas ennuyé ce dimanche de Pâques. J’ai pris le Metro. Oncle, vous descendrez à Ernest Renan. On viendra vous chercher. J’étais chargé d’œufs en chocolat et de lapins enrubannés. Voulant épater mon monde, je suis allé chez Beyer, rue Grand-Pont (ça vient de changer). Peine perdu pour mon snobisme : les plus jeunes ont dévasté mes œufs garnis en trois-quarts de temps. Le souvenir du sac du Palais d’Été, sans doute !

Conversation épuisante, vieilles photos et neufs films de vacances qu’on me passe sur l’immense téléviseur. Sans son, ce qui laisse une impression étrange. L’ancêtre, elle, jacasse à tort et à travers. Ancienne receveuse des tramways de Rouen, elle regrette le temps des traminots. Ignore le Metro qu’elle juge n’en être pas un. Elle est du temps des petits tickets vendus par carnet ou à la pièce, tout ce qui justifiait sa place au milieu. De même génération, on s’arrange pour nous réunir. Je note au passage que, pour son âge, elle lève bien le coude.

Voulez-vous la question à laquelle il n’a pas été répondu ? Ne fallait-il pas deux tickets pour aller de la place de l’Hôtel de Ville à la place Cauchoise ? Vous dire le numéro, aucune idée. Le 2, il me semble. Je suis rentré (pas tard, j’avais un prétexte) avec un sac de barquettes de riz, de rouleaux de printemps et de porc grillé au caramel. Si je n’en ai pas pour un mois, c’est tout comme.

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