DLIII.

Publié le 13 Mars 2014

Beaucoup de chats errants en ville. Beaucoup de chats errent en ville. Si l’on se ballade, bien rare de ne pas en croiser. Nez et queue en l’air. De bonnes âmes (des femmes surtout) se charge de les nourrir. On les nomme des mères à chats. Vocation, sacerdoce, peut-être aussi névrose. Pour s’offrir un statut de personne sérieuse, elles créent des associations. Une carte de visite. Une légitimité Qu’en pensent leurs protégés ? Rien. Ils se tiennent en réserve. C’est le style des chats : une humble contenance, un modeste regard… Tant que la gamelle est pleine, ces fameux ne posent nulle question, attendent nulle réponse.

Chez moi, autrefois, il y avait une de ces mères dans la cour de l’immeuble. Elle s’appelait (elle répondait au nom ou on feignait de croire) qu’elle s’appelait Mademoiselle Lelièvre. Majuscules imposées. Histoire curieuse : en bas de la cour existait comme une ancienne loge de concierge ou garage à vélo. Personne ne savait. Si l’on posait la question la copropriété, il prenait des airs évasifs. Le lot appartenait à quelqu’un, oui. Quelques millièmes. A peine de charges, de toute façon.

Local vide, plein, habité ? On n’en savait rien. De temps à autre, une visite, quelqu’un qui a les clefs. Un homme, une femme ? Je ne sais pas, je n’étais pas là. Un beau jour, il fallut s’en convaincre, le lot n° 4 (onze mètres carrés) était habité. Une petite vieille. Vidant son seau, pas très propre, fricassant des oignons à heures régulières. Une ombre. On s’habitua. Un œil à la fenêtre. Elle est là ? Au bout de six mois, c’était établi, Mademoiselle Lelièvre habitait l’immeuble. Locataire ? Non, Hanot était formel, propriétaire.

Bientôt, de nouveaux locataires prétendirent l’avoir toujours connue. Mon neveu Jérôme réussit à entrer chez elle. Elle m’a donné du café au lait avec des biscuits. On l’écoutait avec intérêt. Le syndic, qui s’en fichait, interrogé, prenait des airs mystérieux. Elle est très riche. Elle fut même, un temps, veuve de général. Puis, propriétaire de plusieurs villas à Deauville. Aussi d’un appartement à Paris. En tous cas, elle est plus riche que nous. Tout ce qu’on raconte !

Les chats arrivèrent. Un, puis deux. Trois, quatre. A l’époque, pas de croquettes, à peine des boîtes industrielles, la Lelièvre (comme il y eut la Pompadour) leurs pâtées. Imaginative, elle baptisait ses pensionnaires de noms de circonstance. Il y avait Bottillon, Zizou, Charlot, Salopette, Mercurochrome, que sais-je. On connut aussi Devinette qui mettait bas plus souvent qu’à son tour. La nourrice se désolait. Encore pleine ! Et l’immeuble de compatir.

On s’en doute, le zoo finit par en agacer. Ça faisait des saletés, ça sentait mauvais. La nuit, ils crient. On se plaignit. Les audacieux alertèrent le service d’hygiène, les Petits Frères des Pauvres, les pompiers. Pensez-vous, elle a des protections. C’était peut-être vrai. Et la mairie qui ne fait rien !

Fin de l’histoire ? Un beau matin, plus personne. Plus de chats, plus de demoiselle Lelièvre, local cadenassé. Vous en dire plus ? Oui, dans trois jours.

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