DXXXVI.

Publié le 5 Janvier 2014

Il y a une bonne vingtaine d’années, je descendais cinq jours sur sept la rue de la Champmeslé. A mi-hauteur, sur la gauche, ouvrait (à peine, vu l’heure) un dépôt de boulangerie : Croissant 2000. Je m’y arrêtais parce qu’il s’y faisait une spécialité de roulette. Si vous n’êtes pas Rouennais, vous allez me demander ce que c’est qu’une roulette. Pour faire vite, disons une sorte de croissant. Ordinaire, plié en quatre, de la même pâte. Et pas au beurre. Nota : que d’accents circonflexes !

Il est à craindre qu’on ne trouve plus de roulettes chez les boulangers. J’en fais souvent l’expérience. Du reste, on ne trouve plus grand-chose chez les boulangers. Ce pourquoi, sans doute, ils se font sauter le caisson. Ainsi, parait-il, celui de la rue Martainville qui faisait de si bons gâteaux. Ou d’Osmont (rue Jacques-Lelieur) qui a fait faillite. Et d’autres, passés ou à venir. Voilà pourquoi, sans doute, Croissant 2000 se nommait ainsi : en prévision du désastre. Après ce millésime, le néant.

Ma roulette au sachet, j’allais au Tyrol, un peu plus bas. Guère de monde à cette heure. Un grand crème et la lecture du journal. Devant la porte veillait un imposant dogue noir que je nommais Berganza. Pour l’état-civil, il portait un autre nom. Un monstre. On ressent un bien être certain à lire les nouvelles en compagnie d’un chien de garde. On se dit que pas grand-chose de sérieux peut vous arriver. Nouvelles du jour ou du lendemain, guère davantage. Par son silence, le dogue carré commentait l’actualité. Il était assez habile pour démêler la vraisemblance de la réalité. D’où l’expression : quel temps de chien.

Traverser la rue du Général-Leclerc dénote un esprit aventurier. La Reconstruction a voulu revoir un passé englouti : rue de la Savonnerie, rue Saint-Étienne des Tonneliers, place de la Haute-Vieille-Tour. Tout, jusqu’à l’Océanic Bar ! Quelle misère que ces rues et pour aboutir à quoi ? Pourquoi traîner (mot trop fort) dans cette partie qui allait, c’était hier, de la Brasserie de l’Escargot à la Vieille Auberge. On n’y voit désormais que marchands de lunettes et chinoiseries. Même les fantômes ne s’y reconnaissent plus.

Au Rouen d’avant 1914, à celui des années Trente, puis des Cinquante, a succédé celui d’aujourd’hui. Nous en sommes à quelle version, dites-moi ? Et qu’espérez d’autre ? Surtout dans ce mini-quartier où personne ne semble habiter. Toujours baguenaudant, j’arrive sur le quai. J’entre au Jean-Bart, café comme autrefois (lorsque le quartier était presque neuf). Ce bistrot sans âge, a bien du mérite. Passé dix-neuf heures, on y met les chaises sur les tables. On va pas tarder à fermer semblent dire les néons. Comme pour Croissant 2000, l’avenir s’annonce ici.

Que deviendra Rouen au fil du temps ? Rien d’autre que ce qu’elle est déjà. Berganza est sans doute mort, le Tyrol fermera un de ces quatre, comme le Jean-Bart, comme Osmont. Félix Phellion suivra. Après Noël ou le Jour de l’An. Mais j’y pense, ce sera alors la période des galettes ! Allez, patron, remettez-nous ça !

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O
Roulettes chez Lemire à la Croix de Pierre également.<br /> Cordialement
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M
Des &quot;roulettes&quot; chez &quot;Catherine&quot; boulangerie place Saint Marc!<br /> Cordialement<br /> Martine
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