DXXVII.

Publié le 1 Décembre 2013

On a longtemps connu, il y a peut-être une quarantaine d’années, une mendiante qu’on pouvait qualifier de caractéristique (est-ce le bon mot ?) Cette femme sans âge se tenait en haut de la rue de la Champmeslé, sous la voute. Debout, drapée dans une couverture, qu’elle tenait du dessous des bras jusqu’aux pieds, elle figurait une sorte de cariatide. Statue immobile mais mobile, elle ne soutenait que l’indifférence des passants. Laquelle était grande en ce temps. Davantage qu’aujourd’hui où elle se banalise. Du moins, dans ces apparences, disons ostentatoires.

Pour ceux qui s’en souviendraient, aviez-vous retenu son sourire doux, presque timide, et ce regard clair jeté sur le monde qui coulait ? Pourquoi était-elle là ? Mendiait-elle ? Pas sûr. De bonnes âmes avaient assez d’aplomb pour lui apporter des objets ou nourritures de survie. Les gens, à cette époque, se déchargeaient avec facilité de l’humanitaire. Au vrai, cette notion n’existait pas. En revanche (façon de dire) ils savaient ce que signifiait le respect humain. La notion s’en est périmée. Chaque jour, des preuves à l’infini. Un exemple ? Les marches blanches à propos de tout et de rien, histoire de se faire voir.

Depuis ces temps anciens, la rue de la Champmeslé a bien changé. En commerce et en humanité. A l’époque, on y allait surtout payer son électricité. C’était déjà quelque chose. A la rigueur, boire un coup. Peut-être (oui, à coup sûr) acheter de l’excellent café chez Cadrincourt (Jean-Baptiste). Faire un tour chez Witty-Sport (courir, vraiment ?) et, pour mes vieilles fiancées, fureter chez Benoît-Tissus. Ou s’oublier à la Parfumerie centrale. Là, pardon, l’adresse comptait : Jicky, Habit rouge, Cuir de Russie… C’est pour offrir ? Je vous fais un paquet ?

Notre mendiante fut précédée de beaucoup d’autres. Et suivies d’encore plus. D’un autre genre ou d’un même. Et des deux sexes. Encore que, de ce côté, les femmes s’en tirent toujours mieux. Elles ne traînent pas. Disparaissent. Comme par enchantement. Ni jamais trop jeunes, ni jamais trop vieilles. On les case toujours. Prison, couvent ou asile ? C’est à craindre. Si les hommes boivent et qu’on leur pardonne, les femmes deviennent folles et on les enferme. A moins qu’elles ne se marient ? Comme disait Carabine : ça revient au même.

Parfois, je m’attarde près des jeunes débris zonant au sortir de Monoprix. Le regard de leurs chiens vous semble féroce ? C’est pour cacher leur indifférence. Il est tard, il faut rentrer (et croire aux syndicats). A cette heure, ces mendiants mendient bel et bien. Et à coup sûr. Entendez qu’ils ciblent la clientèle. Je me laisse parfois faire. Savoir ce qu’ils ont dans le ventre. Le résultat est rassurant : sourires de valets de comédie. Scapin roi, moins l’agilité d’esprit. Puis, à six mètres de votre dos, ils glosent de l’aubaine avec morgue et suffisance. Vous me direz : pour cinquante centimes !

Ceci écrit à charge de revanche. D’abord pour les dames d’hier. Ensuite pour les jeunes gens d’aujourd’hui. Mais bien malin qui dira à cause de qui et pourquoi.

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