DXV.

Publié le 14 Octobre 2013

La chose se passe non loin d’ici, à Franqueville-Saint-Pierre pour être exact. On y a construit un lotissement. Une fois de plus : quand le bâtiment va, tout va. La raison fait qu’aux constructions, il faut des chemins. On nomme les premières maisons, les secondes rues. Jusqu’ici, rien que de banal. Les tracasseries postales font qu’aux rues, on doit donner des noms. Cette tâche échoit aux municipalités en place, à charge pour elles de s’en acquitter avec un sens certain de l’à-propos.

Rue des Pommiers, des Lilas, des Saules passent pour des choix sans histoire. Idem pour Frédéric Chopin, Claude Monet ou Antoine de Saint-Exupéry. Parfois les élus s’abandonnent à Iouri Gagarine, Professeur Kastler ou André Bourvil. Pas grave, sauf si ça dure. Ce qui est souvent le cas.

La chance de notre lotissement, est d’avoir un nom d’origine. Il lui a été donné par son promoteur. Voici Les Orientales. Irrépressible fantaisie des communicants bétonneurs ! Voulez-vous devenir propriétaires ? Alors ne craignez pas le ridicule. Ces Orientales, venues d’on ne sait où, feraient nous dit-on, référence à la situation géographique du lotissement. Possible. Admettons qu’il soit situé à l’Occident, nous aurions eu Les Occidentales (un coup à perdre les élections). Fut-il au Levant, qu’on aurait eu Les Levantines, et au Ponant, Les Ponantines. Pas sérieux, arrêtez vos bêtises.

Un homme sérieux et plein d’à-propos, c’est le maire. Ce premier magistrat (style noble) connait les Lettres et son monde. Pour lui, les Orientales sont d’abord un célèbre recueil poétique. Il s’en est souvenu au moment de trouver des noms de rue pour le nouveau lotissement. Va donc pour la rue Victor Hugo ! En voilà une de casée. Et après ? J’ chais point trop a dit quelqu’un au bout de la table. Y faudrait une femme a dit un moderniste. Celui-là avait raison.

Des rues et des femmes dans le genre de Victor Hugo ? Pas facile. Oui, non, enfin peut-être, mais qui restent sur le motif. Burg-Jargal, La Légende des Siècles, Quatre-vingt-treize, Marie Tudor, Esméralda, Cosette… Ah, on ne s’ennuie pas au conseil municipal. Enfin, mes amis, comment loger rue des Misérables ! Songez à la taxe d’habitation !

Qui le premier a prononcé le nom de Juliette Drouet ? Parait-il quelqu’un passant par-là. Monsieur le maire, vous cherchez une femme et une rue, les deux dans genre hugolien ? J’ai ce qu’il vous faut. Un bon élu n’est jamais contrariant : va pour la rue Juliette Drouet. Qui est cette dame demanda le comité paroissial ? Avec de lentes précautions, on expliqua qu’elle fut maîtresse d’Hugo pendant des lustres et lui écrivit un tas de lettres. D’ailleurs, pas mal tournées.

On se récria. Et Adèle Foucher ? Qui ? Foucher Adèle (1803-1868) femme légitime de Totor, celle qui n’écrivait rien mais faisait des enfants. Pourquoi n’a-t-elle pas sa rue ? Non, répondit le maire, que les maîtresses, pas les épouses. Et puis en voilà assez, je vous quitte, j’ai un mariage. Pénétrant dans la salle pavoisée, il salua les jeunes mariés d’un solennel : messieurs, bonjour.

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article