DLXII.

Publié le 18 Avril 2014

Si F*** est un garçon charmant, il ne communique pas. Certes, peut vous entretenir de mille choses, des classiques latins (où il excelle) ou de la pêche à la ligne (sport qui en vaut d’autres) mais ça s’arrête là. Pour le reste, pas un mot. Enfin, guère. Ses humeurs ou ses amours ? Rien. On a l’impression que sa vie intérieure lui est comme étrangère. Ou inconnue. A peine découverte. Comme disait Carabine lorsqu’on lui reprochait son indifférence à tout sentiment : pour qui faire ?

Toujours est-il que F*** est malade. Bien malade. C’est son épouse qui me le signale. C’est grave ? Pas un mot. Il paraît que oui. Enfin peut-être. Avec lui, on ne sait jamais. Toujours est-il que je me retrouve à déjeuner avec un homme bien silencieux sur sa prostate mais fort bavard sur un plan d’eau au nord du département.

Nous sommes à l’Auberge Saint-Maclou, rue Martainville, autrefois chez le père Lepiller, aujourd’hui dite La Petite Auberge. Les temps changent. Ça n’était pas cher à l’époque (ça ne l’est toujours pas) mais ça n’est guère diététique. Tant pire, comme on dit ici, même pour F***, médecin retraité dont la science n’alla jamais loin (vrai que lorsqu’on est mourant, la médecine !)

Aux temps de nos amours, on y mangeait de l’excellent lapin, tué et dépouillé par on ne savait qui. Et ce, en toutes saisons. Magnan, futur chirurgien de nos amis, nous détaillait les fines attaches de ce qui restait des petites bêtes nageant dans la sauce aux champignons. De ces champignons en conserve, comme on n’en voit plus, caoutchouteux et brillants. Leur boite s’ornait du portrait du cardinal de Richelieu (allez savoir pourquoi). Gageons qu’aux cuisines de l’actuelle Petite Auberge, on n’utilise plus de champignons en conserve (pour avoir un procès, merci bien).

Ma seule critique, pour y déjeuner souvent, va à à carte. Immuable. Y allant mardi prochain, vous saurez ce que vous mangerez. Le même menu que mercredi. Ou de jeudi. En même temps, ça a quelque chose de rassurant. Comme pour les portraits de Richelieu. On sent que, certes, il n’était pas commode mais qu’il s’en tenez à ce qu’il avait décidé. En politique, avouons que c’est rare. Aussi faut-il saluer pareille constance, même dans un domaine aussi étroit que la restauration.

Bon. Et la santé de F*** ? Ne tournons pas autour du pot. Au moment du fromage et de l’unique verre de Volnay, je fonce. Alors, c’est quoi cette histoire de santé ? Ancien médecin, il ne se dégonfle pas. Me réponds avec franchise. Je ne suis pas malade. Le vrai : il quitte sa femme. Comme ça, d’un coup. Le bilan et on ferme. S’est donné jusqu’aux vacances. Après fini, terminé, oublié. Il ne rentrera pas. Et note que je lui laisse tout. La baraque, la bagnole, le studio d’Antibes. Sur ce, il reprend du coulommiers.

Me voilà bien. A trop vouloir savoir, à être obligeant et un peu curieux. Méfiez-vous des amis de toujours. De Richelieu, du vin de Bourgogne et des amitiés trop franches.

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M
Allez Felix, je ne connais pas votre ami mais je ne peux laisser passer les réflexions sur la &quot;petite Auberge&quot;...Désolée mais pour moi c'est encore un endroit où on peut déguster des plats qui ravissent la vieille génération et moi même qui n'en n'est pas loin...Où trouver maintenant une bonne tête de veau ravigote? Chez moi, certes, mais les jours de flemme, je sais où en trouver!<br /> Mes enfants, sortis depuis longtemps du cocon familial mais habitués à la bonne cuisine adoraient ce resto et moi même j'y ai invité plusieurs fois ma vieille maman. Plats en sauce ou plateau de fruits de mer, tout le monde y trouve son content. Vous qui êtes défenseur des traditions, le fait de manger, à l'occasion des champignons en &quot;boite&quot; devrait vous pondérer dans votre appréciation du plat: Si c'est bon, c'est toujours un moment de plaisir non? Si votre ami a malheureusement des problèmes de santé, continuez à l'amener dans ce genre d'endroit, ça ne pourra que lui procurer du bonheur.<br /> Cordialement<br /> Martine
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