DXXXIV.

Publié le 29 Décembre 2013

Pourquoi de tels souvenirs collent-ils à la peau ? Ainsi, j’ai celui d’un dîner au restaurant Le Damiette. Rue du même nom, début de rue, sur la gauche, à partir de la place du Lieutenant-Aubert. Un long couloir en style pseudo-normand. Nappes à carreaux, dinanderie aux murs et petites lampes. Un grand bar aussi, un aquarium il me semble. Clientèle courante et cuisine idem. Simple et pas cher. Existe-t-il toujours ? Lui ou un autre ? A vérifier, mais cette rue est si changeante ! C’était un soir de 30 décembre. Vers le début des années Soixante-dix. Douze ou treize. Il y aurait donc presque quarante ans. Comme le temps passe (points de suspension ou d’exclamation). Une veille de Saint-Sylvestre, pensez, nous étions deux dans la salle. Pas plus. Ou quatre en comptant le serveur et le cuisinier.

Et pourquoi se souvenir que j’ai pris en entrée des œufs mayonnaise ? Ensuite ? Rien, aucun souvenir, pas même celui du dessert. Et pourquoi chercher encore, toujours, de façon perpétuelle, d’aucun dirait déraisonnable, le goût de ces œufs mayonnaise ? Là, incomparables. Ailleurs immangeables (sans parler de ceux aujourd’hui, disparus des menus). A quoi tiens notre vie ! Et pourquoi se souvenir que le cuisinier, italien à ce qu’il paraissait, pressé de finir son service, cherchait-il l’horaire d’un dernier train pour Paris ? Pas d’Internet alors (à peine imaginable). Pourquoi, sur ma proposition, du comptoir, ai-je téléphoné chez Minard ? Lui nous donnerait le renseignement : il prenait souvent ce même train, le dernier. Ce fut Yolande qui répondit. Coup de massue. Minard avait été arrêté la veille par deux inspecteurs. Direction commissariat et ce qui s’en suivrait. Comme dira ma chère amie : il fallait s’y attendre.

Six mois tard, je le revis au procès. Toujours aussi jovial et ne s’en faisant pas plus que ça. Grossi, presque empâté. Un regard vers la salle, presque des saluts. Pour rappel, Minard avait pour loisir de cambrioler châteaux et proches chaumières. Fréquentant les antiquaires de Haute et Basse Normandie, il était devenu un sûr expert. La faïence surtout, le Nevers, l’Argentan, le Jersey, des choses comme ça. Ah, ça c’est rare. Vous m’en donnez combien. Le tribunal jugea que ça valait deux ans. Pas plus, mais ferme. On n’était pas méchant en ces temps là. Il séjourna à Bonne-Nouvelle, puis à Caen. Fut libéré, et, incroyable, embauché par un musée fort connu au national. Yolande, elle, était passée à autre chose. Voilà bien du monde disparu. Trop ou pas assez.

De toute façon, il était trop tard pour le dernier train. Tant pis pour la fiancée du week-end. Plutôt du réveillon et du 1er janvier. Seuls clients, digestifs offerts, nous fîmes la fermeture et presque la vaisselle. Enfin façon de parler car l’arrestation de Minard n’était pas pour me ravir. Difficile d’en dire plus long, même aujourd’hui. Oui, pourquoi ce souvenir du Damiette ? Un lieu qui n’existe plus, un train dans la nuit, des amis évanouis… Et je vous épargne les œufs mayonnaise ! Oui, à quoi tiennent nos souvenirs.

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